Retour aux sources

Publié le par Chipolata

J’ai l’impression de faire pour la première fois de ma vie ce trajet. C’est presque vrai : je l’ai si souvent effectué en train, et parfois en tant que passagère d’une voiture. Cette fois-ci, je suis aux commandes. Presque 15 ans que j’ai quitté cette région lorsque je retrouve ces montagnes étrangement familières. Ma vie a bien changé depuis et mes deux enfants babillent à l’intérieur de la voiture en poussant des exclamations chaque fois que je leur fais remarquer un nouvel élément du paysage qui défile sous nos yeux.

je pense à la jeune fille, à la très jeune femme que j’étais alors et que j’ai soudain l’impression de comprendre parfaitement. Je me souviens d’avoir vécu ici mes premiers vrais bonheurs après des années, presque une existence entière, de tourments intérieurs que je m’efforçais de cacher avec plus ou moins de succès.

Tu as 20 ans et tu ne comprends toujours pas pourquoi tes parents ont choisi ce prénom qui signifie étymologiquement que tu es digne d’être aimée. Tu ne ressens pas l’amour d’autrui pour toi. Mais le premier amour qui te manque, c’est le tien.

Tu ne comprends pas pourquoi sur le papier tu n’es ni si bête ni si laide mais pourtant incapable de plaire. Tu as l’impression que seules tes amies te connaissent et t’apprécient. Tu jettes ton dévolu amoureux sur des garçons que tu connais à peine, et que tu fantasmes à l’image de ce que tu imagines être : des intellectuels torturés. 

Mais comment peux-tu plaire alors que tu te détestes tant ? Tu te cherches des excuses, des souvenirs d’agressions, pour justifier que tu sabotes sans doute inconsciemment toute tentative d’histoire. En réalité tu ne sabotes rien : tout ton être suinte ton mal-être. Et tu le caches bien mal.

R. n’a pas eu le temps de le découvrir. Vous vous êtes embrassés bien trop vite après votre première rencontre, il s’est laissé berner. Mais ce garçon qui t’aimait et que tu aimais t’a aidée à t’aimer aussi et à lâcher les barrières que tu avais bâties si haut autour de toi. Merci la vie de l’avoir mis sur ton chemin. Après des mois de colères, et des années d’indifférence, c’est soudain lui, alors que défilent les montagnes derrière les fenêtres de l’habitacle, que j’ai enfin envie de remercier pour m’avoir permis de changer le cours bien triste de ma vie et mon regard haineux sur moi. Alors oui, merci R.. J’espère que tu es heureux aujourd'hui.

 

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